1,5 million de milliards de dollars de dérivés, Tonnerre de Brest ! Mais ce n’est pas un problème. La preuve : il n’y a aucun problème.
J’ai lu, sur un site économique un peu poil à gratter (de type zero hedge), que l’encours total des dérivés financiers de toute nature aurait atteint 1,5 million de milliards de dollars d’engagement notionnel… A ma connaissance, l’ensemble des positions recensées officiellement (comptabilisées par la BRI) ne dépassait pas 800 000 milliards de dollars cette année.
Je ne connais pas la méthodologie de calcul ayant abouti au total délirant de 1,5 Millions de milliards de dollars, mais peut-être ont-ils agrégé une estimation des encours imputés au shadow banking — celui dont les banques centrales ne parlent jamais parce qu’il s’agit de l’un de ces secret les plus honteux du monde la finance, une réalité souterraine sur laquelle ni la Fed, ni la BCE, ni la SEC, ni Bâle III, ni les organismes de supervision bancaire, ni la CIA, ni la NSA, ni le FSB, ni le Vatican n’ont prise. Le « shadow banking », c’est la plus grosse entreprise de paris clandestins de l’histoire de l’humanité !
Vous avez une idée ? vous pouvez la trader
Mais l’autre information associée aux 1,5 Mns de Mds$ (Tonnerre de Brest ! avons-nous envie d’ajouter), c’est que les encours auraient progressé de +20% par rapport au maximum observé avant l’enclenchement de la crise au début de l’année 2008.
L’autre fait indéniable qui confirme de façon éclatante une tendance lourde depuis 3 ans, c’est la part croissante des ETF (ou ETN lorsqu’il s’agit des matières premières) dans le volume global des transactions sur les marchés régulés. Vous connaissez le principe des trackers et, il s’agit d’achat « par paniers », selon une thématique d’investissement. Il existe évidemment des centaines de thématiques d’investissement différentes, donnant naissance à un ETF qui achète ou vend simultanément une sélection d’actifs en quelques millisecondes (et donc potentiellement plusieurs fois par seconde) sans aucune intervention humaine ni évaluation de la pertinence d’une transaction concernant une valeur ou un produit obligataire.
Et puis il y bien entendu des ETF short qui permettent de parier sur la baisse d’une classe d’actifs et de se couvrir. Ce qui fait qu’étant à peu près protégés contre toute déconvenue, les marchés finissent par ne plus réagir à rien. La preuve encore ce matin : les marchés s’envolent, ivres de bonheur après le camouflet eurosceptique à l’encontre de Matteo Renzi. Les indices européens s’envolent de +1% après avoir chuté de -1,5% sur la découverte du score sans appel (60/40 environ) dimanche soir vers 23h00. A croire que la perspective de la tenue d’un référendum de type « Italeave » comble d’aise les opérateurs. C’est une situation toute pourrie, une catastrophe pour les banques italiennes – donc… la BCE va injecter, injecter encore plus, injecter encore plus longtemps. Plus l’état du malade européen s’aggrave, plus la BCE le gave de morphine monétaire, plus ça va mal, mieux le marché se sent ! Démentiel.
Vous n’avez pas d’idée ? pas grave, ça monte quand même
Si l’actualité n’a plus aucun impact sur les cours, l’unique driver, la force qui attire les opérateurs, c’est la quantité d’argent disponible. Or les banques centrales en ont déversé des cataractes – la PBoC étant la plus généreuse cette année, devant la BCE, puis la BoJ, puis le BoE.
Les « permabulls » affirment que les actions vont maintenant bénéficier d’une grande rotation sectorielle au détriment des produits de taux, plombés par le retour des anticipations inflationnistes. Quoiqu’il arrive, il n’y aura jamais d’alternative aux actions. Rien d’autre ne présente jamais le moindre intérêt par rapport aux actions… Il n’y a rien de mieux au monde que les actions. Dévouons-nous corps et argent aux actions !!! La seule stratégie applicable d’ici 2020 (2025, 2030… 2050), c’est d’acheter des actions chaque fois qu’elles subiront une petite baisse de régime dans l’anticipation de nouveaux resserrements monétaires.
La preuve : pendant que les T-Bonds US perdaient 5% en 3 semaines (le contrat du 10 ans a chuté de 129,5 vers 124 et la situation devient très tendue, comme vous l’a expliqué Gilles Leclerc), les indices US prenaient de +5% à +15%.
Après 36 ans de baisse, l’obligataire ne peut que remonter
Osons-nous encore objecter que les marchés obligataires viennent de subir un mini-krach, avec la volatilisation de milliers de milliards de dollars (songez aux leviers dont font usage certains fonds spéculatifs qui empruntent de l’argent à 0% pour se placer sur des T-Bonds qui en rapportaient 1,7%… et désormais 2,4%). Oui, prenez un levier de 10 et appliquez-y une perte de -5% : personne ne pensait un tel scénario possible tant est profondément ancrée la conviction que les banques centrales avaient la capacité d’éviter qu’un tel désastre ne se produise.
Cela fait tout de même 36 ans que les taux baissent et que le retour moyen des marchés obligataires est de +8% par an. Sur 36 ans, 30 années se sont soldées par des gains substantiels ; on ne compte qu’un seul gros accroc, c’était en 1994 (faillite des caisses d’épargne aux Etats-Unis, éclatement de la bulle immobilière en France post-Irak), et encore, le krach obligataire a surtout dévasté les Bons du Trésor européens.
Mais la dette n’est pas un problème… si ?
Avec l’élection de Donald Trump, la confiance revient : la croissance est de retour, peu importe que cela implique une explosion des déficits. Donald l’a toujours affirmé d’ailleurs : « la dette n’est pas un problème ».
Et c’est vrai… jusqu’au jour où elle en devient un.
Pendant 4 ans, de début 2004 à fin 2007, prêter de l’argent à des emprunteurs insolvables n’était pas un problème.
Depuis 2010, prêter à des étudiants qui n’auront jamais les moyens de rembourser leur dette (même sur 40 ans) n’est pas un problème. Prêter sur 72 mois (6 ans) pour des voitures en negative equity (la valeur du véhicule chute rapidement en dessous de l’encours de crédit à rembourser) n’est pas un problème. Prêter à 15% à des ménages sous forme de credit revolving pour les aider à financer leur fin de mois n’est pas un problème. En l’espace de deux mandats, Barack Obama (avec l’aval du Congrès US et de la FED) a doublé l’endettement des Etats-Unis, mais ce n’est pas un problème. La preuve, grâce à l’écrasement de la courbe de taux orchestré par la fed, le coût du service de la dette est demeuré stable. Plus l’Amérique accumulait de déficits, moins ça lui coûtait cher.
Dans un cycle d’effondrement (artificiel) des taux, Donald Trump a donc bien raison et la dette n’est pas un problème…
… Mais lorsque le taux des emprunts hypothécaire sur 30 ans, passe de 3,5% à 4,4% en quelques semaines, les acheteurs d’un bien immobilier ne vont-ils pas considérer que c’est un peu un problème?
Lorsque Donald Trump passe un coup de fil de courtoisie au président de Taïwan (pour la première fois depuis 1979), est-ce que cela ne pose pas un problème au plus gros des créanciers des Etats-Unis – la Chine ?
Non, décidément, ni le shadow banking, ni le surendettement des Etats (Italie au bord du dépôt de bilan), ni les encours astronomiques de dérivés (20 fois le PIB mondial), ni la paupérisation des classes moyennes, ni l’inflation (que les banques centrales appellent de leurs voeux), ni la planche à billet débridée, ni le gonflement délibéré de bulles d’actifs ne sont jamais un problème… Jusqu’à ce que cela en devienne un.
Sauf que contrairement à 2008, nous n’avons pas UN problème mais la potentielle matérialisation de tous ces problèmes si le cycle de 36 ans de baisse de taux s’inverse.
Soudain, j’ai un peu froid dans le dos.