Le résultat du 1er tour des présidentielles est un « non-événement » boursier: le CAC40 (-0,5% à la reprise) est pratiquement figé et ses homologues européens ne sont pas plus inspirés. Décryptage avec Philippe Béchade.
Pas d’effet « 24 avril » (référence aux 4,2% de hausse du 24 avril 2017) car les résultats du 1er tour sont largement conformes à des sondages qui ont constamment donné des scores très proches de ceux publiés ce 10 avril.
La parité Euro-Dollar s’est raffermie légèrement (+0,3% vers 1,0900 $) à l’annonce des résultats après sa chute de -1% en 5 séances, les cambistes semblant rassurés par la pérennisation de l’axe Lagarde/Von der Leyen/Draghi/Macron, les quatre champions de l’Eurofédéralisme et de la planche à billet (un des grands tabous allemands).
Ce sera donc sans surprise un second duel Macron / Le Pen que les médias ont tout fait pour rendre inexorable depuis presque 5 ans : le « barrage aux extrêmes » va de nouveau être matraqué jour et nuit jusqu’à l’overdose ces 13 prochains jours avec un résultat que les marchés attendent à l’identique.
Quid des scores?
Les scores seront peut-être plus serrés qu’à la première édition (54/46 en faveur du Président sortant d’après les 1ers sondages « sortie des urnes »), mais en insistant bien sur les liens financiers Le Pen / Poutine (ou en se contentant d’éléments de langage plus dévastateurs de type Le Pen = Poutine… puisque cet épouvantail à castors est agité avec succès par des membres du gouvernement depuis 6 semaines), il n’est pas exclu que le résultat soit plus proche des 60/40 recherchés.
Avec 7 candidats (sur 10 non qualifiés) appelant très clairement à voter Macron et ou à ne donner aucune voix à sa rivale, une réélection confortable se profile donc, avec toutefois une variante inédite : les 2 principales forces politiques qui ont gouverné la France à tour de rôle depuis 1958 sont littéralement désintégrées avec un PS sous les 2% et des « Républicains » à moins de 5% (à peine 6,5% pour les 2, soit moins que les 7% de Zemmour, c’est surréaliste).
Il est vrai que plus de la moitié des socialistes s’étaient déjà transformés en LREM dès le second tour 2017 et que la moitié des cadres de l’ex-droite juppéiste ont rejoint ou soutenaient ouvertement la majorité présidentielle depuis 5 ans dans ses projets les plus antisociaux ou les plus liberticides.
Toutes ces trahisons dictées par pur opportunisme et carriérisme se payent cash pour leurs formations d’origine : loin d’une refondation, nous assistons au dépôt de bilan massif de ces deux formations historiques.
Et cette forme d’extinction massive n’épargne pas les syndicats qui n’ont soutenu aucun des candidats affichant les programmes les plus ambitieux pour les classes défavorisées.
Des syndicats restés désespérément muets sur la retraite à 65 ans (ah si, la CFDT approuve sans réserve), la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation, les mises à pied sans indemnité des soignants, les dernières provocations élyséennes contre les enseignants…
Si lors des législatives, le jeu des alliances politiques « anti-extrêmes » (et de ce point de vue, la France Insoumise ne sera pas plus épargnée par Jadot, Hidalgo et Roussel aux législatives qu’au 1er tour du 10 avril) est poussé jusqu’à l’extrême de la logique en vigueur depuis 5 ans, tout groupe d’opposition digne de ce nom pourrait avoir disparu d’ici le mois de juin.
Et à l’Assemblée Nationale ?
La France serait le premier pays d’Europe où des élus dits « d’opposition » pourraient représenter moins de 20% de la totalité des membres de l’Assemblée.
Faute de proportionnelle, même avec 40% d’électeurs potentiels, majoritairement ruraux, Marine Le Pen franchira difficilement le cap des 5% de députés, comme en 2017.
La différence, c’est qu’il n’y aura cette fois dans l’hémicycle pas davantage d’élus d’opposition arborant une étiquette « PS » ou « LR » car aucune de ces formations ne serait plus en mesure de former un « groupe parlementaire » à coup sûr (comme ce fut le cas durant 60 ans). C’est l’invisibilisation et l’impuissance politique garantie (pas de dépôt de motions, pas de possibilité de fixer un ordre du jour, budget et temps de parole fortement réduits… ce qui dans les faits ne change plus rien depuis 2017, l’Assemblée obéissant aveuglément à l’Elysée).
La plupart des candidats préfèreront se rallier à ce second « front républicain » qui se dessine (par opposition au « fascisme » ou aux « extrêmes ») qui succèdera à LREM (devenue une caricature de parti godillot au fil des ans).
Les marchés s’étaient habitués à une ultra-concentration des pouvoirs en France, et à une opposition faible depuis 5 ans : ils n’avaient encore rien vu !
Tous les députés PS et LR n’ayant pas encore trahi leurs électeurs vont devoir se rallier à la majorité présidentielle ou disparaître de l’Assemblée.
Toutes les enquêtes sur le patrimoine réel d’Emmanuel Macron, les pactes de corruption lors de la vente d’Alstom, le rôle des « cabinets de conseil » seront vite enterrées et le rôle des McKinsey et autres Accenture bientôt décuplé, les grands « corps d’état » définitivement marginalisés.
Le pays serait de plus en plus gouverné comme une multinationale globalisée du CAC40, en recherche permanente d’efficacité.
Ce qui implique d’écrémer en permanence les moins performants et d’externaliser tout ce qui ne constitue pas un centre de profit (comme la santé), de vendre à la découpe ce qui peut l’être (refondation/privatisation du système éducatif à l’anglo-saxonne).
Et comme cela peut se produire en période de crise, notamment en cas de récession (la hausse des taux et l’inflation hors de contrôle nous y mènent tout droit), il arrive que deux entreprises longtemps concurrentes fusionnent pour en extraire des synergies, l’identité de l’une s’effaçant au profit de l’autre… ainsi va le monde des affaires.
Et vu les circonstances, il vaut mieux acheter ou se faire racheter que de faire la guerre comme le soulignent la plupart des libéraux citant les horreurs du conflit russo-ukrainien : beaucoup restent sur le carreau… mais au moins, ils sont vivants.
Oui, je sais, soutenir de telles théories aurait été impensable au tournant du 21e siècle, mais après deux décennies de perte d’autonomie monétaire, de délocalisation de notre industrie, de délégation de décisions vitales vers les hautes sphères européennes (qui n’ont de compte à rendre à personne et surtout pas aux citoyens qui ont à les subir, notamment en matière de politique « vaccinale »), cela choque de moins en moins nos concitoyens.
Quel avenir pour la France ?
Et l’un des premiers éléments de langage élyséens de la soirée électorale de ce dimanche 10 fut le suivant : « si les électeurs ont placé Emmanuel Macron aussi haut dès le 1er tour, c’est qu’ils attendent de lui qu’il accélère la transformation du pays ».
Ce que cette transformation recouvre, Emmanuel Macron n’en a pas fait mystère: basculer vers un système (néo-démocratique ?) ou les « devoirs » passent avant les « droits ».
Nous savons tous où cela nous mènera parce qu’il a toujours été ainsi des régimes centralisateurs ayant éradiqué le moindre des contre-pouvoirs : « le devoir – collectif – d’obéir, le droit – individuel – de se taire », l’antithèse parfaite de l’esprit des Droits de l’Homme dont notre pays revendique la paternité.
Les marchés plébiscitent plus encore les systèmes autocratiques offrant stabilité et visibilité à moyen terme: la France pourrait bientôt cocher toutes les cases… comme sur un tableur excel de bonne facture.