Il y a quelques mois, le grand public ne savait pas ce qu’étaient les dépôts overnight des banques européennes à la BCE. De même les opérations de refinancement de ces mêmes banques auprès de la BCE n’intéressaient que les étudiants en macro-économie et les spécialistes de la politique monétaire des banques centrales. Aujourd’hui, les journaux grand public nous en parlent. Revenons un peu sur ces notions car je ne suis pas bien sûr que tout soit clair, avant de passer aux conséquences sur les marchés.
Le ratio de la « normalité du système » est au plus bas
Comme je vous le disais dans un article début février, on peut dire qu’il existe, pour simplifier, les opérations normales de refinancement que l’on appelle les MRO (pour main refinancing operations) et des opérations « anormales » de refinancement appelées les LTRO (pour long terme refinancing operations). Le ratio des MRO/LTRO nous permet de voir si le marché monétaire est dans un fonctionnement normal ou complètement anormal.
C’est ce que je vous expliquais le 2 février au sujet du ratio LTRO/MRO :
« De mars 2008 à novembre 2011, la masse de liquidités allouée aux banques européennes lors des opérations d’appels d’offres de la BCE s’est située, en moyenne mensuelle, autour de 565 milliards d’euros. Mais la répartition est complètement atypique : 152 milliards sont octroyés à travers des opérations normales de refinancement (les MRO) et 413 milliards à travers des opérations de refinancement plus longues de repos extraordinaires sur des durées de 1 à 12 mois (les LTRO). Soit une répartition MRO/LTRO de l’ordre de 27%/73%. Historiquement, sur la période 1999-2007 avec un fonctionnement normal du marché monétaire de la zone euro, cette répartition était de l’ordre 90%/10% !!! »
Après le LTRO 3 ans du 21 décembre 2011 qui avait permis de servir un montant gigantesque de 489 milliards aux banques au taux de 1%, celui du 29 février 2012 a alloué un montant record, toujours à 3 ans et toujours à 1%, de 529,5 milliards d’euros à 800 banques européennes. En termes de liquidités nettes allouées, cet appel d’offres représente autour de 300 milliards d’euros (compte tenu des remboursements d’anciens appels d’offres), ce qui devrait porter le bilan total de la BCE à environs 3 000 milliards d’euros.
Le marché monétaire et bancaire ont bel et bien quitté les rails de la normalité puisque les LTRO en question portent sur des montants colossaux et offrent de la liquidité sur des durées de plus en plus longues (3 ans pour ces deux opérations). Si un jour la BCE met en place un LTRO à 5 ans, il faudra alors comprendre que nous sommes rentrés dans une période de crise durable et que nous ne reverrons pas avant longtemps un retour à la normalisation de la politique monétaire.
Le marché interbancaire reste complètement bloqué
Mais avec cet afflux de liquidité, on pourrait penser que le marché interbancaire s’est calmé et assaini. PAS DU TOUT ! Les dépôts overnight vont de record en record, ce qui montre que les banques n’ont absolument plus confiance en elles.
Le 1er février dernier, j’étais revenu sur les dépôts overnights de la BCE qui explosent comme étant un des indicateurs de crise qu’il fallait surveiller. Voici ce que j’écrivais alors :
- « en période de fonctionnement tout à fait normal du marché monétaire (avant la crise des subprime par exemple), les montants moyens déposés par l’ensemble des banques de la zone se situaient entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros seulement (millions d’euros !) ;
- (…) En 2011, nous repassons à 102 milliards d’euros en moyenne, mais avec des pics à partir du mois d’août ;
- Et en 2012, rien ne va plus, puisque sur janvier, nous en sommes à 474 milliards d’euros en moyenne ! »
Aujourd’hui, la situation est encore plus aberrante :
- La corrélation LTRO/explosion des dépôts overnight se confirme depuis la mise en place du second LTRO massif à 3 ans le 29 février dernier. Nous avons franchi de nouveaux record : 776 milliards d’euros déposés pour la journée du 01/03/2012 (comme par hasard lendemain de l’appel d’offres du 29/02/2012) et nouveau record à 827 milliards d’euros le 05/03/2012.
La liquidité stockée à la BCE au jour le jour par les banques bat record sur record alors qu’elles ne sont rémunérées qu’au bas de la fourchette des taux directeurs de la BCE, à savoir 0,25% aujourd’hui. Les banques préfèrent donc « momentanément » perdre de l’argent avec un portage négatif de 0,75%. L’évolution anormale – pour ne pas dire absurde – du comportement des banques en matière de stockage de la liquidité à la banque centrale est le reflet du comportement tout à fait « anormal » (mais souvent nécessaire) de la banque centrale en matière d’injections de liquidité.
Que faudrait-il alors pour que les marchés interbancaires re-fonctionnent ?
Chacun dira qu’il faudrait que la confiance revienne enfin. Car nous nous trouvons dans une situation de blocage de circulation de la liquidité.
Donc déjà, au lieu de parler de crise de liquidité, on devrait parler de crise de confiance, car la liquidité, au sens macro-économique, n’a jamais été aussi abondante. (Il suffit de regarder l’évolution du bilan de la BCE avec l’extraordinaire croissance de ce que l’on appelle la base monétaire, définie comme la somme de la monnaie émise et des réserves bancaires.) Mais chacun sait que la confiance ne se décrète pas.
Attention à la création de bulle sur les actions
Il faudrait donc que les responsables politiques arrêtent de réclamer à longueur de journée à la BCE qu’elle rachète les dettes d’Etats insolvables, qu’elle prenne ses pertes sur les dettes les plus pourries ou qu’elle mette en place des LTRO tous les deux mois pour inonder les marchés de liquidités. Evidemment, c’est tout le contraire qu’ils font.
Certes, cet afflux de liquidité fait monter les marchés actions et autres actifs dits risqués – ce qui endort tout le monde à court terme –, mais on ne résout rien. Pire, on crée les conditions de nouvelles bulles d’actifs financiers et donc de nouvelles crises.
Les investisseurs qui sont payés pour investir et pour être suffisamment benchmarkés vous diront qu’il faut bien investir quelque part toute cette liquidité BCE, surtout que le carry (différence entre le rendement des actifs achetés et le coût de la liquidité BCE empruntée) est important. Je ne rappellerai jamais assez que quand on se sent obligé d’investir pour des raisons réglementaires (améliorations de ratios), comptables (absence de mark to market) ou psychologiques (on fait comme tout le monde et on ne veut pas manquer le prétendu rally), eh bien l’on participe à la création de bulles dont l’éclatement aura vite fait d’anéantir le carry attractif de stratégies d’investissement court-termistes.
Rappelez-vous la crise obligataire de 1994, la crise des émergents 1997-1998, la bulle Internet de 1999, la bulle des titrisations synthétiques de 2006-2007, la bulle sur des dettes souveraines périphériques, sans parler d’accidents spéculatifs ponctuels sur d’autres classes d’actifs… Autant de bulles qui ont fini ou finiront par éclater.
Mais comment imaginer un retour à une normalisation après le défaut grec (car OUI, la Grèce A FAIT DEFAUT) ? C’est ce que nous verrons demain.
6 commentaires
Merci pour cet article de vulgarisation d’un sujet bien peu appréhendable pour le commun des mortels.
[…] Nous avons vu hier que les dépôts overnight à la BCE ont atteint le record de 827 milliards d’euros le 5 mars. Pour qu’ils reviennent à des niveaux plus “normalisés” (même si on imagine mal un retour aux 100 millions d’euros d’avant 2007), il faudrait en tout cas que les banques puissent gérer trois types de problèmes : […]
[…] Tout le monde l’a dit. Y compris la gauche pendant la campagne présidentielle, Y compris des traders ! Le total des ces deux distributions de fond est de 1000 milliards d’euros en quelques […]
[…] Tout le monde l’a dit. Y compris la gauche pendant la campagne présidentielle, Y compris des traders ! Le total des ces deux distributions de fond est de 1000 milliards d’euros en quelques […]
[…] 1/ prêter en dernier ressort aux banques (contre collatéraux douteux) sur des appels d’offre de moins en moins conventionnels et sur des maturités de plus en plus longues (cf. les LTRO) ; […]
[…] 1/ prêter en dernier ressort aux banques (contre collatéraux douteux) sur des appels d’offre de moins en moins conventionnels et sur des maturités de plus en plus longues (cf. les LTRO) ; […]