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Fin de la neutralité du net : les milliards des GAFAM bientôt redistribués ?

By 27 mars 2023mai 15th, 2023No Comments

Le débat est vieux comme le web : qui doit payer pour les infrastructures ? Alors que les autoroutes de l’information ont jusque-là été financées par les fournisseurs d’accès à Internet, il va y avoir du changement. Avec la prochaine consultation de la Commission européenne, les règles du jeu et la neutralité du net pourraient être remises en question, au détriment des GAFAM.

 

La neutralité du net, élément fondateur de l’arrivée d’Internet, voulait que le réseau soit agnostique. Autrement dit, tous les paquets de données, ces petits morceaux d’information numérique envoyés vers les utilisateurs, doivent être logés à la même enseigne – et ce d’où qu’ils proviennent, quel que soit le chemin qu’ils empruntent et où qu’ils aillent.

Ainsi est né un curieux modèle, à la fois libertaire (la neutralité du net était pensée pour garantir l’absence de censure étatique) et égalitaire (de la multinationale au créateur de site personnel, chacun avait un « droit au débit » égal pour diffuser ses informations).

Mais au fil du temps, des tensions croissantes sont nées entre les opérateurs de réseau, qui payent pour les infrastructures, et les producteurs de données (les géants du numérique) qui utilisent les autoroutes de l’information.

Avec des enjeux se chiffrant en milliards d’euros, le sujet est sensible. Et si chacun se satisfaisait bon gré mal gré du mode de fonctionnement historique, la Commission européenne va remettre en cause le statu quo en débutant une consultation publique sur l’avenir des infrastructures de connectivité.

Si l’Europe met fin à la neutralité d’Internet, c’est tout le modèle d’affaires des géants du numérique qui sera remis en question. Les constructeurs et gérants d’infrastructures numériques, aujourd’hui cantonnés à être des petites mains de l’Internet, auront droit à une part des profits générés par les producteurs de contenus. Facebook, Twitter, Disney+ et autres Netflix devront ainsi verser leur obole à ces sociétés industrielles qui verront leurs marges exploser.

 

Le coût caché de l’Internet

Comme pour la plupart des infrastructures, les utilisateurs finaux ont le plus grand mal à appréhender le coût réel du réseau Internet.

Le seul signal de prix dont ils disposent est celui du tarif de l’abonnement mensuel, mais il y a bien longtemps qu’il est décorrélé de l’offre et du coût des investissements. D’une cinquantaine d’euros au début des années 2000, le prix d’un abonnement ADSL pour les particuliers est passé sous les 30 € en 2002 avec l’arrivée des offres à bas prix de Free, avant de tomber sous les 15 € en 2004.

Pour compenser cette déflation du panier moyen des abonnements, les opérateurs ont dû se tourner vers des offres dites « triple play » comprenant connexion ADSL, télévision et une ligne téléphonique. Cette diversification a péniblement permis de faire remonter le prix des abonnements autour des 30 €.

Aujourd’hui, les particuliers peuvent obtenir pour le même prix un abonnement à la fibre optique et profiter d’un débit compris entre 300 mégabits par seconde (Mb/s) et 8 000 Mb/s en réception, contre 1 à 20 Mb/s pour l’ADSL. Derrière ce miracle technologique qui a vu le prix du Mb/s divisé d’un facteur 400 en moins de 20 ans, se cache le volontarisme des pouvoirs publics et des opérateurs de réseau… et près de 40 Mds€ investis sur le réseau fibré (dont près de 13 Mds€ d’argent public).

Au niveau mondial, la modernisation des infrastructures du net aurait englouti près de 500 Mds€ depuis 10 ans selon l’ETNO (European Telecommunications Network Operators’ Association, qui représente les opérateurs de télécommunications à Bruxelles).

Or, c’est le très haut débit à domicile qui a permis aux nouveaux usages numériques d’émerger. Sans lui pas de Netflix, pas de TV par Internet, pas de démocratisation du métavers. Et l’explosion de la consommation de bande passante chez les particuliers nécessite, à l’échelle des régions et des pays, des « tuyaux » toujours plus gros pour faire circuler les données issues des data centers des géants du numérique.

De la même manière qu’Amazon ne pourrait offrir son service de livraison ultra-rapide sans des infrastructures routières de qualité, les services les plus consommateurs de bande passante n’auraient pu naître sans l’existence d’un réseau moderne à très haut débit.

Et celui-ci a été financé par les opérateurs et les pouvoirs publics.

 

Bientôt un système producteur-payeur ?

L’issue de la consultation ne fait guère de doute. Il y a quelques jours, Thierry Breton, le Commissaire européen au marché intérieur a déclaré publiquement : « A une époque où les entreprises technologiques utilisent la plupart de la bande passante et où les opérateurs de télécommunications voient leur retour sur investissement chuter, cela soulève la question de savoir qui paie pour la prochaine génération d’infrastructures de connectivité. » Il semble évident que l’Europe ne veut plus avoir à financer la modernisation permanente des réseaux de télécommunication.

Mais plus qu’une simple réduction de la dépense publique, il s’agit de favoriser les acteurs locaux face aux multinationales américaines.

La marge opérationnelle d’un Netflix tourne autour des 20 % par an. Celle d’un Meta entre 30 % et 40 % et celle d’Alphabet, plus stable, oscille entre 25 % et 30 %.

Les choses sont bien différentes pour les opérateurs, dont les comptes de résultat sont plombés par des coûts variables colossaux.

La marge opérationnelle d’Orange est de l’ordre de 10 % (les bonnes années), tandis que celle d’Iliad, la maison-mère de Free, s’établissait autour des 15 % lorsqu’elle était cotée. La situation n’est guère plus reluisante outre-Rhin où Deutsche Telekom ne peut se prévaloir que d’une marge opérationnelle comprise entre 11 % et 13 %.

Pour éviter tout procès en parasitisme, les géants californiens font valoir qu’ils investissent, eux aussi, dans les infrastructures numériques. Il est vrai que Meta et Alphabet participent à l’augmentation des capacités mondiales en tirant notamment des câbles transatlantiques qui permettent d’augmenter le débit total entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

En parallèle, des films Netflix aux mises à jour de smartphones Apple et Android, les grands noms du numérique font de louables efforts pour dupliquer les données sur des data centers disséminés sur la planète, ce qui conduit à réduire la distance sur laquelle les données identiques voyagent. In fine, ces investissements permettent de désengorger les réseaux et donc de réduire les dépenses des opérateurs locaux.

Mais les instances européennes pourraient ne pas être convaincues par ces preuves de bonne volonté. Malgré les optimisations en place, l’ETNO estime que les GAFAM et Netflix utiliseraient à eux seuls déjà plus de 55 % de la bande passante mondiale, et que le seul coût d’acheminement de leurs données représenterait 40 Mds€ par an.

Alors que l’Europe fait face à une vague d’inflation inédite depuis des décennies et que les Etats-Unis assument d’avoir recours au protectionnisme économique avec l’IRA (Inflation Reduction Act) porté tambour battant par Joe Biden, « faire payer les GAFAM » sera une douce musique à l’oreille des citoyens européens.

Avant même sa publication prévue pour la mi-mars, le contour du projet a été dévoilé par Reuters. L’agence anticipe une taxation des revenus des géants du numérique dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 M€ à hauteur de 1 % à 5 % de l’activité réalisée auprès de consommateurs européens.

Dans ce qui promet d’être un vaste transfert de richesse entre contribuables, consommateurs, GAFAM et opérateurs, les gagnants sont déjà annoncés : ce seront les telco (fournisseurs d’accès Internet) européens.

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